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Les articles de Caroline LHOMME

Après avoir travaillé une quinzaine d'années dans l'édition, Caroline LHOMME, une rupture d'anévrisme lui a fait découvrir le monde du handicap.Aujourd'hui, elle profite de cette expérience douloureuse mais finalement très riche pour écrire sur des sujets très variés.

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Interview du Professeur Marion Leboyer sur le trouble bipolaire

Pr Marion Leboyer Professeur de psychiatrie,
Hôpitaux universitaires Henri Mondor
Directrice de la Fondation FondaMental

Le trouble bipolaire, autrefois appelé trouble maniaco-dépressif, touche aujourd’hui plus d’un million de Français. Rencontre avec un de ses spécialistes, le professeur Marion Leboyer, psychiatre responsable du pôle de psychiatrie et d’addictologie du Centre hospitalier universitaire Henri-Mondor.

1/ Qu’est-ce que le trouble bipolaire ?
Maladie mentale chronique, les troubles bipolaires touchent 1,6 million de Français et sont un immense enjeu de santé publique. Ils apparaissent majoritairement entre 15 et 25 ans et persistent toute la vie.

L’Organisation mondiale de la santé (OMS) les place au 6ème rang mondial des handicaps, les malades présentant une espérance de vie réduite de 10 ans en moyenne par rapport à la population générale. Les épisodes dépressifs peuvent fréquemment déboucher sur des tentatives de suicide : 20% des patients bipolaires non traités décèdent par suicide. Par ailleurs, les troubles bipolaires s’accompagnent d’une forte comorbidité, c’est-à-dire que d’autres troubles se greffent à la maladie (alcoolisme, diabète, dysthyroïdie, etc.), faisant par exemple encourir aux patients le risque de succomber à d’autres pathologies, une maladie cardiovasculaire par exemple.
Enfin, les conduites à risque (sexualité, addictions, dépenses) sont fréquentes et associées au handicap. Si la bipolarité suscite depuis peu un regain d’attention des médias et du grand public, elle n’a rien de récent. Autrefois identifiée sous le terme de psychose maniaco-dépressive, on lui préfère désormais le qualificatif de troubles bipolaires en raison de la diversité des formes qu’elle peut adopter.
Les troubles de l’humeur qui la caractérisent se manifestent par l’alternance de phases euphoriques (ou maniaques) et de phases dépressives. La durée des épisodes peut varier de quelques jours à quelques semaines ou mois. Connaître l’intensité et la durée de ces épisodes aigus et identifier les symptômes qui accompagnent la maladie sont essentiels pour déterminer la forme de bipolarité dont souffre le patient.

La bipolarité est une maladie contraignante, affectant la vie quotidienne. Elle peut concerner différents domaines comme les facultés cognitives (en perturbant la mémoire, l’attention ou encore les fonctions exécutives des malades), le sommeil (une insomnie sans fatigue peut être le signe d’un épisode maniaque), ou encore se manifester à travers une fatigue excessive. Elle se caractérise également par l’impossibilité de pouvoir gérer ses émotions, et cette hyperréactivité émotionnelle s’incarne dans des comportements irritables, colériques. Elle peut aussi donner lieu à des troubles anxieux. Mais c’est le retard de diagnostic qui pénalise le plus les patients. On estime à 10 ans en moyenne le temps écoulé entre un premier épisode et l’instauration d’un traitement adapté. Ce décalage s’explique par la méconnaissance de la maladie de la part des médecins, qui associent souvent les symptômes de la bipolarité à ceux de la dépression. Si bien qu’actuellement, 40 % des dépressifs pourraient en réalité souffrir de bipolarité sans être diagnostiqués.

2/ Comment le traite-t-on aujourd’hui ?
Les troubles bipolaires sont particulièrement handicapants. Il existe pourtant des traitements efficaces pour en atténuer le fardeau et rendre le quotidien plus supportable. On ne guérit pas d’un trouble bipolaire : c’est une maladie chronique au long cours. Pour autant, les traitements actuels permettent de réduire très fortement les symptômes de la maladie. Plus le trouble est diagnostiqué tôt, plus les chances de rétablissement sont élevées. La prise en charge des troubles bipolaires repose sur trois piliers : les médicaments, les psychothérapies et le respect d’une bonne hygiène de vie.

LES THYMORÉGULATEURS EN PRÉVENTION DES RÉCIDIVES
Parmi les médicaments, les stabilisateurs de l’humeur - également appelés thymorégulateurs - sont les plus souvent prescrits. Ils permettent de réduire la durée, la fréquence et l’intensité des épisodes aigus tout en régulant les intervalles entre deux épisodes. Leur efficacité est mesurée au bout de six mois minimum. Le plus ancien et le plus efficace des thymorégulateurs est le lithium (sels de lithium). Entre 25 et 50% des patients bénéficient de ce traitement, considéré comme le meilleur régulateur de l’humeur. C’est également l’unique médicament effectif dans la prévention contre le suicide. Seul bémol, les sels de lithium entraînent parfois des effets secondaires incommodants comme le dérèglement de la thyroïde ou de la fonction filtrante des reins.

DES ANTIÉPILEPTIQUES OU ANTIPSYCHOTIQUES EN PREMIÈRE INTENTION
C’est pour cela que les médecins privilégient souvent les traitements à base d’antiépileptiques ou d’antipsychotiques dits « atypiques ». Considérés comme des stabilisateurs efficaces de l’humeur, ils sont cependant moins bien tolérés sur le plan cognitif. Pour choisir lequel de ces trois groupes de médicaments ils doivent prescrire, les médecins s’appuient sur l’histoire de chaque individu, sur ses symptômes et sur l’évolution de la maladie, favorisant ainsi une approche personnalisée des traitements.

LA PSYCHOTHÉRAPIE ET L’ÉDUCATION THÉRAPEUTIQUE EN RELAIS
Par ailleurs, les patients peuvent trouver du soutien auprès de psychothérapeutes. Différentes formes de psychothérapies (TCC, thérapie familiale, thérapie interpersonnelle et des rythmes sociaux, etc.) sont proposées, capables d’améliorer les déficits cognitifs et d’alléger le quotidien grâce à une meilleure appréhension des épisodes aigus. De la même façon, l’éducation thérapeutique est recommandée. Elle aide le patient à détecter les signes et symptômes annonciateurs de rechute. Par ailleurs, elle joue un rôle actif dans la réduction des risques, à travers une meilleure gestion au quotidien des facteurs de stress mais aussi l’adoption d’un mode de vie plus équilibré (avoir un sommeil de qualité et régulier, faire de l’exercice et observer une alimentation saine).

3/ Quels progrès la recherche va-t-elle permettre dans les années à venir ?
LA FONDATION FONDAMENTAL ET LA RECHERCHE SUR LES TROUBLES BIPOLAIRES Avec plus d’un Français sur 5 concerné, les maladies mentales sont un immense enjeu de santé publique. Parmi ceux-ci, 1,6 millions sont atteints de troubles bipolaires. Ces dernières années, la recherche sur les troubles bipolaires a considérablement progressé, avec des découvertes majeures sur le plan du diagnostic, de la compréhension des mécanismes sous-jacents et des stratégies thérapeutiques. Alors que ces découvertes confirment la possibilité d’innover en psychiatrie, elles ont été obtenues dans un contexte difficile. En effet, en France, la recherche en psychiatrie demeure le parent pauvre de la médecine et n’est ni vraiment reconnue, ni assez soutenue. Dans ce contexte, la Fondation de coopération scientifique FondaMental et l’ensemble des acteurs qu’elle fédère poursuivent leur mission pour faire toute sa place à l’innovation en psychiatrie et donner un élan fort à la recherche. Ainsi, la Fondation FondaMental a joué un rôle majeur dans la création du réseau des Centres Experts Troubles Bipolaires et dans la coordination des équipes de soins et de recherche. Ces efforts ont permis la mise en commun de données et la constitution de la plus grande cohorte mondiale de personnes atteintes de troubles bipolaires. Ainsi, plus de 4000 patients ont été évalués et suivis dans ces Centres Experts. Cette dynamique de mise en commun des données, d’alliance de cliniciens et de chercheurs et de lien renforcé entre académiques et associations de patients a considérablement stimulé la recherche en psychiatrie et a permis l’émergence d’une présence française forte à l’international. A l’occasion de la Journée Mondiale des Troubles Bipolaires 2021, la Fondation FondaMental a fait le bilan des publications de recherche issues des Centres Experts Troubles Bipolaires et des équipes pluridisciplinaires avec lesquelles ils collaborent et tient à rappeler que les maladies mentales ne sont pas une fatalité. En effet, l’innovation et les progrès de la recherche scientifique permettent une nouvelle lecture des maladies psychiatriques et ouvrent la voie à l’élaboration de traitements porteurs d’espoir pour les malades et leurs proches.

LES PROGRES DE LA RECHERCHE DANS LES TROUBLES BIPOLAIRES, POUR L’EMERGENCE D’UNE PSYCHIATRIE DE PRECISION
Des mécanismes physiopathologiques aux nouvelles voies thérapeutiques, en passant par les marqueurs biologiques, la recherche sur les troubles bipolaires explore de nombreuses pistes. Comme pour les maladies cardio-vasculaires ou le cancer, qui ont vu les progrès de la recherche améliorer considérablement le pronostic des patients, le développement de nouveaux marqueurs biologiques et l’étude de facteurs de risques environnementaux devraient améliorer l’identification de sous-groupes de patients plus homogènes qui bénéficieront de stratégies thérapeutiques personnalisées.

VERS L’IDENTIFICATION DE MARQUEURS BIOLOGIQUES
Génétique, immunologie, imagerie cérébrale sont autant de domaines qui devraient conduire, à plus ou moins brève échéance, au développement de nouveaux outils diagnostiques, pronostiques et thérapeutiques. Par exemple, des études ont permis d’identifier de nombreux marqueurs génétiques. Egalement, les techniques d’imagerie cérébrale, à travers l’étude de l’anatomie et du fonctionnement du cerveau, ont permis de détecter des anomalies dans certaines zones comme l’amygdale ou l’hippocampe, impliquées dans le traitement des émotions, chez les patients bipolaires même stabilisés. En poursuivant ces pistes, les chercheurs espèrent non seulement identifier des marqueurs biologiques pouvant aider au diagnostic du trouble bipolaire mais aussi anticiper le développement de la maladie chez les familles concernées.

REMÉDIATION NEUROPSYCHOLOGIQUE ET FONCTIONNELLE
Les troubles bipolaires peuvent, si on n’en freine pas l’évolution, entraîner des difficultés de fonctionnement neuropsychologique chez 30 à 50 % des patients. Des dysfonctionnements de la mémoire, des fonctions exécutives, mais aussi de l’attention ont été observés. Ces atteintes ont pour conséquence de dégrader la qualité de vie des patients et de perturber leur vie sociale. Pour améliorer le fonctionnement cognitif des patients, il est nécessaire de proposer une prise en charge spécifique. Des travaux de recherche ont permis de tester l’efficacité de groupes de remédiation cognitive. Cette thérapie, adaptée au profil cognitif des patients bipolaires, contribue à une réelle amélioration de leur quotidien.

LES APPORTS DE L’IMMUNOLOGIE
Les travaux de recherche ont également dévoilé un risque accru de comorbidités en cas de trouble bipolaire, c’est-à-dire le risque de développer des maladies physiques au cours de l’évolution du trouble bipolaire. Ces pathologies, plus souvent associées au trouble bipolaire que la population générale, concernent les maladies cardio-vasculaires, le syndrome métabolique (hypertension, diabète, etc.) et les maladies auto-immunes. Ainsi, 20 % des patients bipolaires souffrent d’un syndrome métabolique, soit deux fois plus que dans la population générale. Les anomalies immuno-inflammatoires expliqueraient en partie ces associations, en raison de dysfonctionnements du système immunitaire révélés par des facteurs environnementaux (exposition à des infections ou à des traumatismes sévères pendant l’enfance).

VERS UN MODE DE VIE PLUS SAIN
Pour lutter contre ce phénomène, un dépistage automatique est indispensable, tout comme une prise en charge individualisée et un changement de mode de vie (alimentation, exercices physiques, sommeil régulier, etc.). C’est à cette même conclusion que sont arrivées les études menées sur l’existence d’anomalies du sommeil et sur le déséquilibre veille-sommeil dans le trouble bipolaire. Alors que plus de huit patients sur dix en rémission déplorent une mauvaise qualité du sommeil, les médecins peuvent proposer un accompagnement pour conduire le patient vers une vie plus régulière, plus saine et moins stressante.

Découvrez la revue des derniers articles de recherche issus des Centres Experts Troubles Bipolaires de la Fondation FondaMental :

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