Chaque année en France, 1000.000 personnes sont internées contre leur gré. C’est cette expérience surréaliste que raconte Marius Jauffret dans « le Fumoir », paru en 2020 aux Editions Anne Carrière.
Aujourd’hui libre, et encore révolté de ce qui lui est arrivé, il témoigne.
Rencontre :
1/ Comment avez-vous basculé dans cette histoire de fous ?
Ce qui marque le début de mon histoire c’est la tristesse, la dépression qui déjà depuis des années me ronge. Le jour où toute cette histoire commence je suis désespéré et je bois beaucoup. Je m’installe à la terrasse d’un café. Je recommande à boire. Puis vient un moment où je me sens mal. Je fais une attaque de panique. Ensuite j’appelle mon frère qui m’accompagne aux urgences de Sainte-Anne. Là tout va très vite. Un premier psychiatre me « prend en charge ». Il a l’air sévère et me reproche ma consommation excessive d’alcool. Il me parle comme à un enfant et cela va continuer avec l’infirmier qui m’attache et me fait une piqure de vitamines. Je ne pensais rester qu’une nuit dans ce lieu et ressortir le lendemain mais le psychiatre du matin n’est pas de cet avis. Il fait signer à mon frère un document qui stipule que je ne suis pas en mesure de donner mon consentement (si mon frère avait refusé de signer il aurait signé à sa place). Je suis pourtant totalement lucide et ne veux pas être hospitalisé, seulement rentrer chez moi. Il appui son argumentation sur un mensonge. Il m’invente une maladie rare « le syndrome de Korsakov ». Aussitôt je suis transféré à l’hôpital psychiatrique Henri Ey dans le treizième arrondissement. Là-bas il n’y a pas de recours possible. On vous enferme sans même vous soigner. C’est une vraie prison, mais en prison vous savez quand vous allez sortir, à l’asile pas de date, on peut vous garder ad vitam aeternam…
2/Qu’est-ce qui vous a sauvé ?
Ce qui m’a tiré de cet enfer ce sont mes parents qui ont fait du forcing. Ils ont appelé sans relâche le psychiatre. Contrairement à beaucoup de gens internés dans cet hôpital j’ai pu sortir car j’avais cette chance d’avoir une famille qui pouvait réclamer ma sortie. Ce qui n’était pas le cas des orphelins par exemple (il y en avait plusieurs dans le service). L’un deux, alors que je m’apprêtais à sortir de l’asile mon bagage à la main, m’a dit : « toi tu as des parents, tu as de la chance tu peux sortir, moi je vais rester tout le temps ici ». Cela m’avait beaucoup touché et j’y pense encore. Je pense encore à mes ex-compagnons de l’HP. J’ai des images qui me viennent, la cantine, les cris, les sangles. On ne peut pas oublier ça…
3/ Est-ce que vous avez pu faire évoluer les choses, depuis ?
Je ne le sais pas mais j’ai eu l’occasion de répondre à beaucoup de messages de lecteurs qui avaient vécu une expérience similaire. Ils semblaient heureux que ce problème ait pu être modestement traité dans mon livre. Beaucoup m’ont remercié. Ça m’a énormément touché.
J’ai été également invité par le professeur Lejoyeux, chef du service de psychiatrie de l’hôpital Bichat. Lors de cette réunion il y avait des psychiatres, des psychologues, des infirmiers. Tout le service était autour de la table et j’ai pu exposer mon point de vue. Je ne suis pas sûr qu’ils aient réellement apprécié d’entendre mes propos sur la technocratie psychiatrique qui broie plus qu’elle ne soigne. Mais le professeur Lejoyeux s’est montré très intéressé par mon livre et je l’ai entendu dire qu’il y avait sûrement encore des efforts à faire, notamment pour ces patients laissés à l’abandon. Je peux dire en tout cas que, même si ce livre n’a aidé qu’une seule personne, ça valait le coup de l’écrire. Il fallait dénoncer ce scandale national. Et j’ai voulu donner la parole à ces gens qu’on cache. J’espère en être digne.
4/ Avez-vous des projets ?
J’ai écrit un second livre. Tiré également d’une expérience personnelle très forte. Il s’agit d’un récit de voyage. Le périple d’un jeune homme qui part sur un coup de tête dans un pays en guerre. Pour le moment je me concentre sur les corrections de ce second livre. Mais d’autres formes d’écriture comme le scénario ou le théâtre par exemple m’intéressent beaucoup. Ce sera pour plus tard, peut-être…